Chapitre 10

 

Un jour, au début de septème, Lisbeï devait avoir au moins onze années, un train de trois grandes carrioles s’arrêta dans la cour alors qu’elle était en train d’y jouer avec Tula, après le repas de midi. On les réquisitionna avec deux autres Vertes pour aider à décharger les carrioles. Les sacs n’étaient pas très lourds ; au bruissement sec sous la toile, on devinait des noix. Lisbeï chercha Tula des yeux pour lui faire part de cette hypothèse, mais elle était en train de parler à une grande Verte aux cheveux bruns coupés très courts, et semblait tout excitée. Lisbeï s’approcha : qui était cette Verte ? Elle était sûre de ne lavoir jamais vue à Béthély, et pourtant sa tunique portait l’emblème de la Famille.

Et Tula se tourne vers elle avec un grand rire ravi : « C’est Garrec, Lisbeï ! Tu te rappelles, Garrec ? »

Lisbeï dévisage un moment la Verte et soudain quelque chose glisse dans sa tête, comme le déclic avec le cube plein et creux, elle voit un Vert, un garçon, même si elle ne reconnaît pas du tout Garrec. Bien sûr, tous les garçons vont à la Ferme de Bois-Malverde quand ils sortent des garderies, à une dizaine de klims à l’ouest de Béthély, bien sûr, elle le savait – mais elle vient seulement de s’en souvenir. Comme elle sait que des Bleus se trouvent quelque part dans les Fermes. Il y en a même dans les Tours, mais très peu, une demi-douzaine tout au plus. Et une fois, en traversant la Bibliothèque avec Mooreï, elle a vu une Rouge inconnue en train de consulter des cartes étalées devant elle, et Mooreï a dit « As-tu trouvé ce que tu cherchais, Fillip ? » ; l’esprit de Lisbeï a fait le même saut : elle a compris que c’était un des nouveaux Mâles en résidence, Fillip de Westershare, qu’elle l’avait déjà rencontré à plusieurs reprises dans un couloir mais elle ne l’avait jamais vu.

Et maintenant elle se rend compte que la plupart des Vertes inconnues qui déchargent les carrioles sont des Verts. Tula a passé un bras autour des épaules de Garrec qui sourit d’un air embarrassé en se dandinant d’un pied sur l’autre, et elle répète : « Garrec, Lisbeï. Sûrement, tu te rappelles Garrec ? »

Lisbeï hausse les épaules : « Pas vraiment. Mieux vaudrait finir de décharger, si on veut encore jouer après. »

Tula lâche le garçon, qui s’éloigne en hâte vers une autre carriole. Lisbeï tourne les talons et va porter son sac sous l’auvent. Elle revient en chercher un autre. Tula, après être restée immobile, en fait autant. Elles travaillent un moment côte à côte sans parler.

« Tu avais bien Méralda et les autres ! » dit brusquement Tula.

La violence de sa lumière laisse Lisbeï interdite. Puis elle se reprend, indignée, elle proteste : ce n’était pas pareil ! Et puis, quand elles se croisent par hasard, Méralda ne lui saute pas exactement au cou ! (Méralda a déménagé dans la Tour Est après la bagarre.)

« Justement, c’est parce que ce n’était pas pareil, dit Tula avec une logique qui échappe complètement à Lisbeï. Garrec a toujours été gentil. Et moi j’étais toute seule, et lui aussi. Il aimait les histoires. Je le faisais rire. C’est dur, pour un garçon, d’être tout seul à la garderie. »

Elle serre les lèvres, prend un autre sac et s’éloigne. Lisbeï la regarde, pétrifiée. Tula et Garrec, à la garderie ? Tula… et Garrec ? Ensemble ? Les idées se forment lentement, puis de plus en plus vite, de plus en plus brûlantes. Ensemble comment ? Qu’est-ce qu’elles ont fait, ensemble ? Est-ce que Tula lui a parlé de Lisbeï, de tous leurs secrets ? Qu’est-ce qu’elles ont fait, ensemble ?

Elle ne sait pas comment le demander. Elle ne veut pas le demander ! Quand Tula revient prendre un autre sac, Lisbeï espère qu’elle ne dira plus rien, que c’est terminé. Mais non : « Garrec pleurait presque toutes les nuits, après le départ de Turri et de Rubio. Après tout, si leurs corps sont différents, c’est qu’Elli les a faits comme ça, oui ? Et puis, s’ils n’existaient pas, on ne pourrait pas faire d’enfantes, non ? Pourquoi on les met à part ? Pourquoi ils ne peuvent pas rester dans les Tours aussi ? »

Lisbeï choisit la voie la moins dangereuse : elle décide de considérer la protestation de Tula comme une vraie question :

« Parce qu’on les entraîne, à Bois-Malverde.

— Je sais bien, mais à quoi les entraîne-t-on, qu’ils ne pourraient pas apprendre ici ?

— Au Service. »

C’est la réponse habituelle – celle que Lisbeï a obtenue quand elle a posé la même question, ce qui lui a valu de se faire renvoyer ensuite comme une balle d’Antoné à Mooreï, entre génétique et arbres généalogiques. Quand les Verts deviennent des Rouges, ils s’en vont faire leur Service dans d’autres Familles dont les gènes sont compatibles avec les leurs, deux années par Famille. Et pour bien faire leur Service, surtout ceux qui sont choisis comme Mâle de la Mère, ils doivent apprendre les langues – l’iturri, le moski, le litali ou le frangleï ; parfois on leur apprend aussi l’histoire des Familles où ils iront, la géographie de leurs territoires, leurs Chartes et « leurs règles, traditions, coutumes et autres idiosyncrasies non écrites » (avait dit Selva, qui en avait lâchement profité ensuite pour faire chercher à Lisbeï le mot « idiosyncrasie » dans le dictionnaire). C’est ce qu’elle aurait voulu pour les futurs Rouges de Béthély, et elle s’employait à faire introduire peu à peu ces modifications dans leur programme de formation à Bois-Malverde. En fait, ils seraient obligés d’en savoir presque autant que la Mère (avait constaté Lisbeï avec un certain étonnement quand elle avait expliqué tout cela pour la première fois à Tula). Sauf qu’ils ne pourraient jamais être la Mère, bien sûr !

« Toi aussi tu apprends ça, non ? Et tu es restée ici.

— J’apprends l’histoire de toutes les Familles et toutes les langues », rectifia Lisbeï avec dignité, mais surtout pour se donner le temps de réfléchir. Tula avait raison. Les Verts auraient pu apprendre tout cela dans les Tours.

Du coup, elle ne pensait plus tellement à la façon dont la discussion avait commencé – comme une dispute. Toujours sensible à ses changements d’humeur, Tula choisit de l’accompagner en posant comme souvent la bonne question, ou la mauvaise – en tout cas celle qui dérangeait le plus : « Tu crois qu’ils apprennent les mêmes choses que toi avec Antoné ? »

 

* * *

 

La plupart des leçons se donnaient sous l’égide du Livre de Béthély dans le bureau de Selva. Un matin, cependant, peu après le dixième anniversaire de Lisbeï, on l’avait envoyée à l’infirmerie de la Tour Ouest, où se trouvait le bureau d’Antoné. D’une armoire aux vitres dépolies, fermée par un cadenas, la Médecine sortit une série d’objets oblongs et lisses que Lisbeï prit d’abord pour de bizarres sculptures en bois, toutes de la même forme et de tailles différentes. Mais Antoné n’aurait pas posé aussi brusquement sur la table de simples morceaux de bois sculpté, ni avec un si net éclat de résolution. Elle croisa les bras (et, dans cette imitation inconsciente de Selva, Lisbeï crut comprendre d’où venait le changement de routine).

Dès le début, les leçons des nouvelles dotta étaient consacrées à ce que non seulement la future Mère mais toute Béthély bien élevée devait savoir de la diététique, de la botanique, de l’entomologie, de l’agriculture et de l’élevage. La génétique, celle des plantes ou des animales, ses mécanismes, ses lois et ses problèmes finiraient par ne plus avoir de secrets pour elles (ou du moins ce qu’on en avait reconstitué à partir des Fragments, ne manquait jamais de rappeler Antoné). On permettait aux dotta d’assister à la naissance des agnelles, des poulines ou des chatonnes. À Béthély seules les Rouges pouvaient voir naître les enfantes humaines, mais c’était à peu près semblable, comme l’indiquaient à Lisbeï les planches anatomiques d’Antoné.

Il y avait tout de même des différences. D’abord et surtout, malgré des mutations diverses, les animales n’avaient pas été touchées par la punition d’Elli : elles produisaient à peu près autant de mâles que de femelles. Ensuite, si le rut faisait partie du dessein d’Elli, c’était une contrainte biologique à laquelle les humaines n’étaient pas soumises (heureusement, s’était dit Lisbeï, après avoir été conviée comme les autres à assister à la saillie d’une des chevales de Béthély). Comment était-ce pour les humaines ? Ce qui les rapprochait, c’était l’amour d’Elli, avait dit Mooreï. Antoné avait alors déclaré d’un ton sarcastique (avec un éclair sourd et douloureux dans son aura) que ce domaine ne faisait pas partie de ses compétences et qu’elle se contentait d’examiner le fonctionnement des machines biologiques. Lisbeï n’avait pas trop fait attention ; elle devait avoir huit années et s’était déjà habituée à la polarisation aimable mais constante des discussions entre la Mémoire et la Médecine.

D’ailleurs, comment les humaines faisaient leurs enfantes, avec la seringue, c’était une des premières leçons qu’apprenaient les dotta après avoir reçu leurs tatouages – Lisbeï l’avait su avant tout le monde. Et toutes savaient bien que l’amour entre humaines n’avait absolument rien à voir avec la production des enfantes.

Pourquoi les humaines en faisaient, des enfantes…

« Eh bien, si elles n’en faisaient pas, tu ne serais pas là pour poser la question, n’est-ce pas ? » dit Antoné. Lisbeï ne comprit d’abord pas son ironie : les Rouges faisaient des enfantes qui devenaient des mères à leur tour, c’était l’ordre familier du monde, la Tapisserie d’Elli (comme disait Mooreï, qui avait laissé le « tricot » à la garderie). Mais elle commençait à reconnaître certains sourires en biais d’Antoné comme une invitation à pousser plus loin et elle répéta la question, curieuse.

« Les femmes font des enfantes parce que sans cela la race humaine disparaîtrait, et apparemment la race humaine n’a pais envie de disparaître, il y a quelque chose en chaque humaine qui la pousse à vouloir se reproduire », dit Antoné, avec tout à coup une curieuse amertume. Mais en quoi cette réponse était-elle si différente de celle de Mooreï ? En fait, elle était loin d’être aussi satisfaisante. Au moins Mooreï savait-elle ce qu’était le « quelque chose » : le désir d’Elli et Son plaisir à voir danser Sa création. Le « quelque chose » d’Antoné ressemblait un peu trop au « elles sont bien obligées ! » de Turri, à la garderie.

Mais la Mère ne faisait pas les choses comme les Rouges ordinaires. La Mère faisait ses enfantes « avec le Mâle » – celui de la Tour Ouest, exclusivement. Ni les explications d’Antoné ni celles de Mooreï n’avaient adéquatement répondu aux inquiétudes de Lisbeï, cette fois. La Mère « faisait Elli avec le Mâle », ou « Dansait avec le Mâle ». Cela se passait entre autres lors de la Célébration. La Célébration était « l’action de grâce que nous adressons toutes ensemble à Elli, la nuit du solstice d’été ». Soit. Mais seules les Rouges et les Bleues participaient à la Célébration. Les dotta se couchaient tôt ce soir-là, épuisées par les préparatifs qui les avaient occupées depuis l’aube, toutes ces fleurs à cueillir, à tresser en motifs, puis à disposer autour de la grande plateforme dressée au milieu de la cour jusqu’à ce qu’on n’en voie plus les planches nulle part et qu’elle semble flotter sur une mer végétale. L’après-midi, on les laissait courir par toute la Foire, elles avaient le droit de se gaver de beignets et de sucreries, et pour couronner le tout on leur donnait une coupe entière de Vin du Solstice : comment ne pas dormir, après cela ?

Toute l’habileté de Lisbeï ne réussit pas à provoquer de confidences vraiment éclairantes. Tout ce qu’elle put apprendre, c’était que Rouges et Bleues Dansaient avec la Mère et le Mâle la nuit de la Célébration. Il fallait bien connaître les figures de la Danse pour ne pas faire obstacle à la célébration d’Elli et c’était pour cela que les dotta devaient bien s’appliquer à la taïtche et surtout à la parade. À la fin, exaspérée, elle avait posé la question sans déguisement à Mooreï. Qui lui avait répondu par un sourire grave : il fallait marcher avant de pouvoir courir, la Célébration viendrait en son temps pour Lisbeï, quand elle serait une Rouge. Et le fait d’être la future Mère de Béthély, pour une fois, ne lui valait pas le droit de savoir avant le temps :

« Tu seras une Rouge avant d’être la Mère de Béthély, Lisbeï. Ne crains rien, tu sauras tout ce que tu auras besoin de savoir quand ce sera nécessaire. »

Mais pourquoi ne pas parler tout de suite de la Célébration ? Était-ce vraiment si mal de savoir les choses à l’avance ?

D’une façon inattendue, car la Célébration semblait avoir vraiment beaucoup d’importance pour elle, Mooreï s’était mise à rire : « Ah, Lisbeï, parfois oui et parfois non ! » Et elle avait fait une grimace qui lui avait comiquement plissé le nez. « Ce n’est pas une réponse bien satisfaisante, je sais. Mais dis-toi… que la Célébration est une surprise. Une surprise, on ne veut pas savoir d’avance ce que c’est, n’est-ce pas ? »

Lisbeï n’en était pas si sûre : à sa sortie de la garderie ouest, si elle n’avait pas imaginé souvent à l’avance ce qu’elle trouverait de l’autre côté de l’enceinte du jardin, elle aurait sûrement été malade de peur et de dépaysement les premiers jours, comme d’autres dotta – même si ce qu’elle avait trouvé n’avait pas ressemblé du tout aux histoires inventées pour Tula… Mais alors, malgré elle, elle pensa à la réapparition si attendue de Tula : elle se l’était jouée des centaines de fois dans sa tête et la réalité avait été si affreusement différente…

Mooreï l’observait, indécise. « Il y a des choses qu’il faut apprendre par soi-même, Lisbeï, dit-elle enfin. Suppose… que tu n’aies jamais vu la couleur violette. On peut essayer de te la décrire mais ce n’est pas comme si tu la voyais toi-même, n’est-ce pas ?

— Suppose que je n’aie jamais vu d’Abominations, répliqua Lisbeï sans se démonter. Si on me prévient, j’aurai moins peur à ma première patrouille. »

Mooreï s’agenouilla alors, dans un grand bruissement de tissu maintenant bleu, elle prit les mains de Lisbeï entre les siennes, elle semblait désolée : « Oh Lisbeï, mais il ne faut pas avoir peur ! La Célébration est une grande, une belle, une bonne surprise. Il ne faut pas avoir peur d’Elli ! »

Mais Lisbeï n’avait pas peur d’Elli ! Et elle n’avait pas peur de la Célébration de toute façon. Elle voulait seulement savoir ce que c’était.

« Puisque tu es la future Mère de Béthély, dit Antoné après avoir posé les curieux morceaux de bois sur la table de son bureau, il va falloir te préparer à la Célébration. » Après une petite pause, elle ajouta : « Et tu n’en parleras à personne, Lisbeï. C’est seulement pour les Mères de Béthély et absolument personne d’autre ne doit le savoir. Promis ?

— Promis », dit Lisbeï, flattée. Elle s’approcha pour examiner les objets : légèrement courbés, un peu plus larges à une extrémité et munis à l’autre d’une sorte d’anneau puis de deux renflements symétriques avec un petit trou. Antoné dut percevoir sa perplexité un peu inquiète, même sans la toucher, car elle poussa un soupir et s’efforça de calmer ses propres émotions – elle y arrivait vraiment mal, à cette époque-là. Elle alla prendre un de ses livres d’anatomie, l’ouvrit à la page du corps masculin, posa le doigt sur une image marquée « pénis en érection », puis désigna les objets :

« Le même, en trois dimensions. On dit aussi phallus. »

Lisbeï enregistra l’information avec un intérêt poli : bon, un mot de plus pour désigner l’organe masculin – elle en connaissait une dizaine pour le sexe féminin. Rien que de très normal : cet organe, somme toute, était essentiellement une astuce d’Elli pour procurer aisément aux femmes les graines, non, « les gènes » des hommes.

Antoné lui expliqua très précisément comment fonctionnait le « pénis en érection » pour la Mère et de quelle façon on se servait du petit « phallus », lui dit quelles précautions prendre pour ne pas se faire mal et lui expliqua même pourquoi elle devait faire ces exercices : pour s’habituer à ce type de pénétration.

Et elle ajouta entre ses dents, comme en réponse à une objection que ne lui faisait sûrement pas Lisbeï : « On entraîne bien les Mâles ! »

 

* * *

 

« Tu aurais dû lui demander comment », avait dit Tula quand elle lavait retrouvée après le repas.

Lisbeï haussa un peu les épaules : elle lui avait expliqué, les mâles frottaient leur sexe, et du liquide, du « sperme », en jaillissait – un peu comme une pompe qu’on amorce.

« Ils savent déjà faire ça, ils n’ont pas besoin qu’on leur apprenne ! Il doit y avoir d’autres formes d’entraînement. »

Elle ne parut pas remarquer la stupeur de Lisbeï ; elle était déjà passée à autre chose : elle voulait essayer, elle aussi, le phallus.

« Tu es trop petite, dit impulsivement Lisbeï. Tu pourrais te faire mal. Tu n’as pas vu comment faisait Antoné…

— Eh bien, montre-moi, toi ! »

Mais ce n’était pas pareil. Et puis, c’était seulement la Mère de Béthély qui utilisait le Mâle de cette façon, Tula n’avait pas besoin de s’entraîner, elle.

À la vague d’incrédulité blessée qui lui répondit, Lisbeï se reprit soudain. Était-elle en train de refuser de partager quelque chose avec Tula ? Bien sûr qu’elle allait partager avec, Tula ! En promettant à Antoné de n’en parler à personne, elle n’avait évidemment pas inclus Tula ! Bien sûr, c’était toujours « toi et moi, ensemble » !

Elles trouvèrent un coin bien tranquille et commencèrent les exercices. Et, en effet, c’était étrange, cette « pénétration » (même avec les petits phallus du début et dans la version prudente et progressive recommandée par Antoné). Cela ne ressemblait vraiment pas aux familières explorations avec le doigt. Et puis l’idée qu’il y aurait un corps au bout de ces phallus… Mais, justement, Lisbeï n’arrivait pas à l’imaginer. Le seul corps qu’elle pouvait imaginer aussi proche du sien, c’était celui de Tula, mais c’était complètement différent : elles se roulaient l’une sur l’autre en jouant ou elles se caressaient pour se faire plaisir ! Avec le Mâle, il y aurait cette grosse chose étrangère en elle, entrant en elle comme… comme pour prendre toute la place ! Elle avait beau se dire que ce serait pour procurer à ses graines, à ses chromosomes, la moitié nécessaire pour faire des enfantes correctes, c’était quand même une sorte d’invasion. Bizarrement, elle avait l’impression que ce n’aurait pas été la même chose avec la seringue de l’insémination. Mais avec le Mâle… sentir non seulement ce corps si proche et le morceau de ce corps en elle, mais en plus, sûrement, comme à l’intérieur d’elle aussi, une présence étrangère, alors que jusqu’ici seules la main de Tula, la lumière de Tula… C’était comme un sacrilège, ce télescopage entre deux actes aussi dissemblables : se combiner avec le Mâle et faire l’amour avec Tula !

Lors de sa discussion – de sa dispute – avec Selva sur le sujet, Antoné avait bien compris que les techniques employées dans les Familles progressistes n’avaient pas encore leur place à Béthély. Tant qu’à enfreindre les ordres de Selva, elle préférait cependant s’en tenir à ce qu’elle connaissait…Elle n’avait pas parlé de plaisir à Lisbeï. Elle n’avait jamais voulu participer à aucune Célébration.

Après avoir essayé le phallus et vaincu une crise de fou rire d’autant plus intense qu’elles avaient dû l’étouffer pour ne pas se faire remarquer dans leur cachette, Lisbeï et Tula conclurent que la Célébration devait être autre chose. Une surprise, oui, les phallus, mais « une grande, une belle surprise » ? Non, il devait se passer autre chose entre la Mère et le Mâle lors de la Célébration.

« Tu crois qu’elles font ça devant tout le monde ? dit Tula après une longue réflexion. Après tout, Mooreï t’a dit qu’elles font Elli. »

Lisbeï pouvait voir la logique de l’argument : Elli était tout, aussi bien mâle que femelle, et en se combinant ainsi la Mère et le Mâle pouvaient en effet reconstituer en partie l’unité d’Elli. Faire Elli, même d’une façon aussi approximative, ne pouvait être vraiment déplaisant, n’est-ce pas ? La Mère faisait ce qu’elle avait à faire, c’était son honneur et sa responsabilité. Mais en même temps, c’était… eh bien, un peu embarrassant quand même.

« Il faudrait rester réveillées à la prochaine Célébration », finit par dire Tula. Lisbeï était arrivée à la même conclusion mais l’idée avait quelque chose de dérangeant. Les Vertes n’assistaient pas à la Célébration. C’était vraiment, vraiment interdit. Mais d’un autre côté, puisqu’elle était la future Mère…

Et voilà que la Célébration arrive… Mais Lisbeï comme Tula succombent au somnifère dont elles ignorent encore la présence dans le Vin du Solstice, et la Célébration est passée sans qu’elles en aient appris davantage.

Laquelle eut l’idée la première, ensuite ? Lisbeï ne s’en souvient pas. Tout ne passait pas par des mots entre elles : les idées étaient d’abord comme des bulles imprécises qu’elles se renvoyaient en les gonflant chacune à son tour de ses curiosités, de ses désirs, de ses craintes, jusqu’à ce que l’idée se matérialisât quand des mots venaient lui donner un sens, une direction. « Le nouveau Mâle de la Mère est arrivé », entendit Lisbeï dans les couloirs, quelques mois plus tard. Elles savaient que la Mère faisait souvent Elli avec le Mâle pour produire ses enfantes, et pas seulement la nuit de la Célébration – tout comme les Rouges allaient aux infirmeries pour être inséminées plusieurs fois lors de leur période de fertilité. Et la bulle éclata, et la direction, cette fois, fut celle des appartements de Selva.

C’est la nuit, l’été. Selva et le Mâle sont ensemble, comme chaque nuit depuis plusieurs jours : c’est la période de fertilité de Selva. Les fenêtres de sa chambre sont ouvertes, comme toutes les fenêtres de Béthély : Elli a fait torride toute la journée. Pour laisser entrer la première fraîcheur qui commencera à circuler dans l’air alourdi, la porte de la chambre de Selva est ouverte aussi. Elle donne sur un petit couloir où s’élève la spirale de l’escalier privé menant à la Bibliothèque. Et à l’autre extrémité du petit couloir, depuis l’incident avec Méralda, il y a la chambre de Lisbeï.

Dans la chambre de Lisbeï, venue la rejoindre sans faire de bruit, il y a Tula. Cela fait longtemps qu’elles ne se sont pas retrouvées ainsi la nuit : elles se voient dans la journée, maintenant, on a renoncé depuis un certain temps à les séparer. Lisbeï ne devrait pas être inquiète : elle a noté les allées et venues de Selva et du Mâle depuis quinze jours, elle a imaginé tout ce qu’il fallait faire – elle a huilé les gonds des portes, elle sait où il faut marcher pour que le plancher ne craque pas. Elle a essayé de tout imaginer – y compris la terrible éventualité de se faire prendre. Mais, comme toujours, au moment où la réalité va remplacer l’imagination, elle voudrait attendre encore un peu, retarder le moment où tout va basculer. Tula, impatiente, la tire par le bras : « Viens, ou elles seront déjà endormies ! »

Le couloir est obscur ; la nuit est presque sans lune, seule la lueur étouffée d’une gazole se glisse hors de la chambre de Selva pour rendre les ombres plus noires. Mais ce ne sont pas les ombres qui arrêtent Lisbeï. C’est le bruit, une sorte de léger grincement rythmé. Tula l’entraîne à nouveau. Elles se collent au mur de chaque côté de la porte ouverte de la chambre.

Des ombres mouvantes au plafond, sur les murs : la lampe est posée par terre près du lit. Sur le lit, une masse composite, des lignes, des courbes, des reflets, qui deviennent soudain deux corps nus, luisants de sueur. Au premier plan, un peu tourné vers la porte mais les yeux fermés, le visage de Selva à moitié recouvert par sa chevelure défaite. Selva à quatre pattes, en appui sur ses coudes. Et le Mâle… à califourchon sur elle ? Non, derrière elle, à genoux. Il la tient par les épaules, il a les doigts enfoncés dans ses épaules et il la pousse par à-coups violents. Elle est agrippée au rebord du lit, c’est le lit qui grince. Tout son corps tremble à chaque secousse, ses bras, ses seins, son visage. Le Mâle est perdu dans l’ombre au-dessus d’elle, seuls ses cheveux accrochent par moments la lumière.

Il accélère son mouvement et maintenant il souffle, fort. Et tout d’un coup il tombe sur Selva avec une sorte de gémissement, un cri de gorge bizarre. Elle ne bouge pas et il glisse pour se retrouver à plat ventre sur le lit à côté d’elle. Il halète. On ne voit pas si les yeux de Selva sont encore fermés, ses cheveux lui masquent la figure. Au bout d’un moment elle se couche un peu en biais sur le lit, sans toucher le Mâle. Elle dit « Bonne nuit, Aléki », de sa voix précise et froide. Le Mâle se lève, ramasse quelque chose par terre, sa robe de chambre. Il l’enfile, il se dirige vers le fond de la chambre où s’ouvre l’autre porte, celle qui mène à l’autre couloir où se trouvent ses appartements à lui. Sur le seuil, il se retourne et, d’une voix pleine de malice triomphante, il dit : « Ce qu’il ne faut pas faire, hein, pour être la Mère ? »

Il referme la porte. Selva n’a pas bougé. Au bout d’un long moment, enfin, elle se lève. Il y a des meurtrissures sombres sur ses épaules, sur ses hanches, sur ses cuisses. Elle prend la lampe, va la poser sur sa coiffeuse, s’assied, prend son grand peigne à manche de corne. D’où elle se trouve, Lisbeï voit très bien son visage illuminé dans l’ovale plus sombre du miroir. Les yeux dans les yeux de son reflet, sans un tressaillement quand le peigne arrache un nœud de cheveux roux, la Mère pleure.

 

* * *

 

(Lisbeï/Journal à Wardenberg)

 

Wardenberg, 3 d’avrilie 490 A.G.

 

… mais je me rends compte que ce devait être avant. Nous ne serions jamais allées voir un Bleu après, ou en tout cas pas moi. Te rends-tu compte que nous n’en avons jamais parlé ? Nous n’avons jamais plus parlé des garçons, non plus, ou seulement d’une façon soigneusement impersonnelle. Non, ce devait être avant, et même avant la leçon d’Antoné. Je crois bien que c’est toi qui en as eu l’idée. Je ne vois pas pourquoi j’aurais pensé à aller parler à un Bleu, même avant. Mais toi, peut-être que tu pensais à Garrec, est-ce que je sais ? Et puis c’est toi qui es venue me trouver en disant qu’il y avait un Bleu de Névénici aux écuries. J’ai cru que tu voulais le faire parler de la mer. C’était parce que nous étions petites, mais il avait l’air vraiment gigantesque, tu te rappelles ? Large, épais, avec des mains comme des battoirs et tous ces poils partout. Mais il était tout content de nous voir, de voir des petites dotta – presque d’une façon enfantine, je m’en rends compte maintenant. Il s’est essuyé le front en faisant semblant de froncer les sourcils et il a dit : « Eh bien, eh bien, qu’est-ce que nous avons là ? » Mais il ne nous a pas dit de partir. Tu as dit : « On est venues voir les nouvelles poulines » et il a souri ; il n’avait pas assisté à leur naissance, bien sûr, on ne l’avait pas laissé voir, mais il en était tout fier, comme si c’était lui qui les avait faites, et il nous les a fait admirer, surtout la blanche. Nous avons un peu parlé des animales et je me demandais comment amener le sujet en douceur, mais tu as commencé tout raide : « Comment c’est à Névénici ? »

Il a eu l’air étonné – le changement de sujet, sans doute. Puis il s’est mis à rire. Mais en même temps, il était content – flatté. Avec un grand sourire, il s’est assis sur une balle de paille. Il lui manquait deux dents de devant, sa figure était toute tannée par le soleil, avec des rides partout et des cheveux coupés en brosse. Il ne devait pas être si vieux, je m’en rends compte maintenant, pas même la quarantaine. « Et qu’est-ce que vous voulez savoir de Névénici, petites dotta ? »

— Les bateaux, j’ai dit. Les grands, ceux qui vont de l’autre côté de la Tiranée. Tu en as déjà vu ?

— Bien sûr. J’ai aidé à en construire. »

Ce que tu voulais savoir, je suppose, c’était s’il était déjà allé en Afrike, mais tu l’as laissé raconter comment on construisait les grands bateaux, dans sa Famille. Il était content d’en parler. Content et triste. Un mélange bizarre, que je ne comprenais pas bien. Au bout d’un moment, il s’est arrêté, il a regardé ses grandes mains calleuses : « Mais c’était il y a longtemps, quand j’étais un Vert », et il a soupiré.

Et en disant cela, son aura était tellement triste, tout d’un coup…

« C’était bien, quand tu étais un Vert ? Mieux que maintenant ? »

Il n’a pas répondu tout de suite. Il t’a dévisagée un moment et il a dû décider que ça ne faisait rien de répondre. « D’une certaine façon, oui, il a dit, j’étais chez moi. »

Comment aurais-je reconnu cette émotion-là ? D’ailleurs, sa lumière n’était pas très claire, comme celle de presque tout le monde sauf toi, Antoné et Kélys – et celle de Selva, parfois, quand elle voulait. Mais tu as eu l’air de comprendre que c’était de la nostalgie :

« Pourquoi tu n’y es pas retourné ?

— Je n’ai pas le droit. »

En effet, c’étaient des Juddites à Névénici, elles ne laissaient pas leurs Bleus revenir. J’avais entendu Antoné en parler avec Kélys, elle avait dit : « C’est vraiment stupide, qu’est-ce qu’elles croient, qu’ils vont les violer ? » Mais comme je ne savais pas ce que c’était, « violer », j’avais seulement retenu qu’Antoné avait dit ça pour choquer Kélys, mais que Kélys n’avait pas été choquée. Comme tu ne disais plus rien et lui non plus, j’ai décidé de reprendre les choses en main avec la question qui m’intéressait :

« C’était dur, la formation, après la garderie ? C’est vrai que les Verts apprennent un peu les mêmes choses que la Mère ? »

Il était encore perdu dans ses souvenirs, sans doute, car il a marmonné « Oui, oui », d’une voix distraite, puis il s’est raidi un peu. J’avais pris mon air le plus innocent, ça a dû le rassurer et il a souri : « Pas tout à fait. Mais il faut savoir beaucoup de choses quand on voyage beaucoup. »

Avant que j’aie pu imaginer une autre bonne question qui ne l’alarmerait pas trop, tu as demandé : « Est-ce que tu as été malheureux de partir de Névénici ? »

J’ai été étonnée. Lui aussi, sans doute pas pour la même raison. Il t’a contemplée un moment de ses yeux bruns un peu opaques puis, lentement, en cherchant ses mots, il a dit : « Non. Les nouveaux mâles sont fiers d’aller faire leur Service, petite dotta. Les mâles sont les rédempteurs, les servants d’Elli, ceux qui rachètent les fautes des hommes du Déclin. »

Je croyais qu’il allait faire un discours mais il s’est arrêté brusquement et son aura ressemblait à celle d’Antoné quand elle se rendait compte qu’elle en avait trop dit. Je ne sais pas ce que tu as senti, toi ; comme j’allais le pousser à continuer, tu as dit, pensive : « Mais tu n’es plus un Rouge, maintenant. »

Et vous vous êtes regardées et une émotion bizarre est passée entre vous, que je n’ai pas eu le temps de bien comprendre. Il a hoché la tête comme s’il était content de toi et il a répété : « Je ne suis plus un Rouge. »

Et là, deux Rouges sont arrivées et il s’est levé, je l’ai senti embarrassé tout d’un coup. Je ne me rappelle plus qui c’était, ces Rouges. Je me rappelle seulement leur façon de lui dire de ranger les balles de paille, sans vraiment le regarder. Nous les avons suivies mais je me suis retournée. Je l’ai vu prendre à pleins bras une balle de paille presque aussi grosse que lui, et la jeter sur le tas. J’ai bien vu ce que son corps disait : il était en colère. Mais je ne me suis pas demandé pourquoi. Ce que j’ai vu surtout, c’était sa force. On me disait toujours que j’étais grande et forte pour mon âge ; je me suis demandé si je deviendrais aussi forte. Je n’ai même pas eu peur. C’était avant d’avoir vu Selva avec le Mâle.

Chroniques du Pays des Mères
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